Licenciement d'un salarié pour des « J’aime » sur Facebook


Les limites de la liberté d'expression...Vaste sujet !

Se protéger, en temps que salarié, dans le monde du travail est important. Tous les scénarios peuvent arriver, même ceux qui restent impensables…

En France, la liberté d'expression du salarié est un droit !
En droit du travail, l'article L1121-1 prévoit que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Le 15 juin 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme a donné raison à une salariée turque, licenciée pour avoir « aimé » certains contenus publiés sur Facebook et a considéré qu’il y avait eu une atteinte à son droit à la liberté d’expression.

Dans cette affaire, une contractuelle de l’éducation nationale en Turquie, employée en tant qu’agent de nettoyage, soumise aux règles du droit du travail, a été licenciée en raison de ses mentions « J’aime » ajoutées sur des contenus publiés par d’autres personnes sur Facebook. Son licenciement a été validé par les tribunaux judiciaires turcs et la Cour constitutionnelle turque a rejeté le pourvoi de la salariée. Celle-ci a alors porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), estimant avoir été injustement licenciée pour avoir exprimé ses opinions.

Pour la salariée, en cliquant sur le bouton « J’aime » sur certains contenus Facebook, elle exerçait son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Son licenciement constituait donc une atteinte à ce droit.

Pour les autorités turques, les contenus « aimés » par la salariée posaient problème en ce que certains mettaient en cause des professeurs et pouvaient inquiéter les parents et élèves, tandis que d’autres étaient de nature politique. Ces contenus étaient ainsi susceptibles de perturber la paix et la tranquillité du lieu de travail de la salariée à des fins idéologiques et politiques.

La CEDH va analyser dans le détail la portée des contenus « aimés » par la salariée sur Facebook et l’impact de ce « J’aime » sur le réseau social. Elle reproche tout d’abord aux juridictions turques de ne pas avoir suffisamment examiné la teneur et le contexte des contenus litigieux. Ceux-ci consistaient en des critiques politiques virulentes contre les pratiques répressives alléguées des autorités, des appels à manifester contre ces pratiques ou encore des dénonciations des abus allégués des élèves qui auraient eu lieu dans les établissements scolaires.

Pour la CEDH, ces contenus portaient sur des débats d’intérêt général. Elle rappelle que le droit à la liberté d’expression comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (article 10 § 2).

La CEDH note ensuite que les juridictions turques n’ont aucunement examiné l’impact potentiel de l’acte de la salariée. Or, pour la CEDH, l’acte d’ajouter une mention « J’aime » sur un contenu n’a pas le même poids qu’un partage de contenu sur les réseaux sociaux, dans la mesure où « une mention « J’aime » exprime seulement une sympathie à l’égard d’un contenu publié, et non pas une volonté active de sa diffusion ».

Par ailleurs, il n’apparaît pas que les contenus ont atteint un public très large et, compte tenu de ses fonctions, la salariée ne pouvait disposer que d’une notoriété et d’une représentativité limitée dans son lieu de travail et ses activités sur Facebook ne pouvaient pas avoir un impact significatif sur les élèves, les parents d’élèves, les professeurs et d’autres employés.

Compte tenu de tous ces éléments, la CEDH estime que les motifs retenus pour justifier le licenciement de la salariée ne peuvent être considérés comme pertinents et suffisants. Elle considère que, faute de rapport de proportionnalité raisonnable entre l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression par la salariée et le but légitime poursuivi, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

CEDH, 15 juin 2021, n° 35786/19

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De toutes façons Melenchon c'est un pion de l'oligarchie...

🤯 Et si on arrêtait de se faire biaiser ? 🧠